06/02/2014
Aujourd’hui, journée consacrée aux transports :
– bus pour Weining 威宁, départ à 10h, arrivée à 16h30 ! Pas même une pause pour manger ; heureusement qu’il me reste un peu du pique-nique d’hier soir dans mon sac. Dans ce car, tout déglingué, c’est à la limite du supportable : tout le monde fume, même le conducteur, tout le monde hurle dans son mobile, même le conducteur, la télé bouclant en permanence sur le même feuilleton, et les klaxons suraigus… J’ai fini par mettre des bouchons dans les oreilles !
– recherche de train pour repartir d’ici. Déjà, quand on cherche les horaires sur internet, il ne faut pas chercher à Weining car on tombe sur un tortillard local. En fait, la vrai gare de Weining où passent les trains grandes lignes, s’appelle Caohai 草海. Faut le savoir ! Je trouve un hôtel au plein centre (100Y au lieu de 158 annoncé au départ…) tout confort, la wifi seulement à l’accueil. La dame de l’hôtel, très chaleureuse, parle quelques mots d’anglais et elle m’aide à formuler par écrit ma demande de ticket en chinois. Je vais à la gare Caohai (6 km au nord-ouest) par le bus N°1 dont c’est le terminus. À la gare, petites queues : forcément il n’y a plus de places de train pour les trois prochains jours !! Pourtant, il y a au moins quinze trains qui passent ici chaque jour… Bon, c’est les fêtes ! Je m’y attendais un peu. J’ai tout de même une place assise pour le 10 au soir.
Je n’ai rien vu de la ville aujourd’hui, donc pas de photos !
À noter qu’il fait un super soleil, qu’on est à 2100 m d’altitude et même pas froid !
07/02/2014
J’ai bien dormi dans cette chambre double au prix d’une simple ! Le chauffage AC fait un peu de bruit…
Dehors, (8h) le ciel est bas, la brume couvrant les collines alentours. Il fait 2° ! Brrr ! C’est l’heure où les magasins ouvrent, et ils sont plus nombreux qu’hier : finies les vacances ! Je fais un petit tour au marché qui se met en place, et qui rassemble des paysannes venues des alentours en habits traditionnels qui font deviner qu’il y a différentes ethnies dans la région.
Puis direction le lac Caohai ( 草海 = la mer d’herbes), puisque c’est ce qui est vanté dans les guides. Du centre-ville, on ne le voit pas : il faut passer une colline totalement urbanisée et traverser la partie de la ville qui va jusqu’au lac. Je devrais dire : les marais, car en cette saison sèche, le lac a régressé et on le voit à 500m de la rive. Un centre touristique, endormi à cette heure, sert de promontoire et une promenade sur pilotis permet de zigzaguer jusqu’au point d’attache des barques. Les tarifs sont affichés : il y a trois destinations plus ou moins éloignées de la rive et le prix de la barque va de 120 à 340 Y. Vu de ce promontoire, le lac ne me fait pas surgir des bouffées d’émotions ; si on pouvait supprimer les bâtiments hétéroclites de la rive, les cimenteries et les chantiers de construction de tours à l’horizon, le bruit des micros brailleurs des adeptes de la gymnastique matinale venus s’installer là, sans parler de véhicules de nettoyage des rues qui émettent des musiques criardes et répétitives… on pourrait s’arrêter et contempler. J’entreprends de longer le lac vers le nord-ouest. La ville finit par céder la place à des potagers qui ont gagné sur le lac. Des gens y travaillent, s’échinant à retourner la terre avec des houes, ou ramassant quelques choux restants.

Dans un hameau, d’une maison sort une musique plaintive à tirer les larmes ; le portail est encadré par des calicots noirs et blancs, et, dans ce qui sert habituellement de garage, repose un énorme cercueil peint en noir. Un type assis à côté, passablement éméché, détache des feuillets jaunes et les place devant un petit autel à côté de bougies et des bâtons d’encens.
Je fais bien une demi-douzaine de kilomètres, durant lesquels la vue sur le lac est bien plus agréable, avant d’en atteindre le bout (10h30) et une petite colline sur laquelle à l’air de se construire un genre de village vacances. En traversant ce village, je vois une petite foule bruyante, pétards, cris, musique émise par deux petits cornets suraigus ; les gens ont un turban blanc autour de la tête. Et dans cette foule, une vingtaine d’hommes portent des troncs d’arbre liés, lesquels soutiennent, tel un palanquin, un … énorme cercueil noir, surmonté d’un coq ! Décidément, c’est le jour !
Je décide de suivre la cérémonie et les gens m’accueillent volontiers. À un moment, sur la route, je vois soudain les personnes s’allonger en ligne par terre, le premier d’entre eux brandissant un portrait (celui du défunt ? ). Et le cortège au cercueil passe au-dessus d’eux. Pétards, Musique. Cris.
Puis on quitte la route pour aller dans cette partie de la colline où l’on enterre les morts, mais où on cultive aussi quelques choux. Le cortège, à partir de ce moment, est exclusivement composé d’hommes. Après moult détours destinés à égarer les mauvais esprits, il s’arrête devant une fosse peu profonde ; le palanquin mortuaire est posé à proximité. Un homme dépose deux bougies sur le pan de terre derrière la fosse, creuse un petit trou dans ce pan et y place une petite jarre d’alcool.
La fosse est soigneusement aplanie, on y fait un feu de papiers et de broussailles, les cendres sont réparties sur le sol ce qui lui fait un beau fond noir. Un ancien, que je vais qualifier d’ordonnateur de cérémonie, s’empare d’un petit sac contenant de la poudre de pigment orange, et prend de la poudre dans son poing droit. Il se met à inscrire avec la poudre qui s’écoule de son poing sur le fond noir, des caractères au sens pour moi inconnu. Puis il projette un peu de poudre sur les parois de la fosse. Il est temps d’y mettre le cercueil.
Dorénavant, je fais partie de cet événement : quand il y a une tournée de cigarettes, on m’en propose, pareil pour la bouteille d’alcool ! Mais je refuse poliment… J’ai pris une position surplombant la mise en terre, et ce qui me permet de tout observer sans gêner personne. Comme il fait froid (et que je ne fais pas partie de ceux qui s’agitent…), quelqu’un vient m’apporter un verre de thé vert bien chaud. L’ordonnateur est très fier de ma présence… Ce sont des gens humbles du village, probablement des paysans ou des artisans, vu leurs mains rugueuses et leur visage buriné et tanné.
La mise en terre est une opération délicate : le palanquin est démantelé, et (comme ailleurs), le cercueil est descendu dans la fosse à l’aide de cordes, tête vers le pan de mur, ce qui n’est pas aisé car l’objet est lourd, il faut du monde, et il y a peu de place pour manœuvrer dans ce terrain en pente. Opération d’autant plus compliquée par le fait que quelqu’un, pendant la manœuvre, a laissé tomber son portable dans la fosse… Une fois le cercueil en place, l’ordonnateur reprend son sac de poudre, prend des mesures, et à l’aide d’une cordelette rouge et de deux piquets témoins plantés de part et d’autre de la fosse, fait repositionner le cercueil exactement dans l’axe prévu. Il répartit le reste de poudre sur le cercueil. Il se met à jeter quelques poignées de terre sur le cercueil en lançant des exclamations à la centaine de présents qui répond en écho. On fait la chaîne pour recouvrir le cercueil de terre, moyennant paniers, hottes, pelles, bêches. On tasse en marchant dessus.
Le ciel se déchire et laisse apparaître le soleil. La température devient plus clémente.
Une petite cérémonie dont je ne comprends pas du tout le sens a lieu : deux hommes se mettent à genoux par terre sur la tombe. Puis ils relèvent le pan arrière de leur blouson, l’ordonnateur verse dedans le contenu d’une gamelle qui contient de graines de blé, de haricot, de maïs, du riz, quelques pièces. Une fois la gamelle vidée, les deux hommes se redressent et font de telle sorte qu’ils reversent le contenu de leur pan de blouson dans la gamelle… *
Commence la construction de la tombe : une mini charrette motorisée a apporté deux stèles et deux gros socles. Je comprends qu’il s’agit, à l’occasion de cet enterrement, de mettre aussi une stèle à la tombe voisine, un peu envahie par des herbes folles. Réunion de deux parents, conjoints, amis ?? La pose des stèles réclame autant de précisions que celle du cercueil : pose du socle au fil, horizontalité vérifiée par un peu d’eau dans le trou qui recevra la stèle, ciment blanc dans ce trou, pose de la stèle à l’aide du fil à plomb. Dans toutes ces manœuvres, pas de chef, personne qui dit ce qu’il faut faire, chacun vaque connaissant sa tâche.
Il s’agit maintenant d’élever un muret de pierres blanches en forme de fer à cheval jusqu’à la hauteur de la stèle, combler l’espace intérieur de terre, relier les deux tombes, et recouvrir le tout de mottes de terre engazonnées. Les hommes s’organisent, font la chaîne, et sans trop de commentaires, la tombe est achevée vers 14h.
Quelques femmes et des enfants arrivent avec des sacs remplis de bâtons d’encens, de papiers jaunes à brûler et de pétards. On déroule une grande pièce de tissu rouge sur les deux tombes et on place sur chacune d’elles un gros sac contenant … des couvertures. L’ordonnateur me fait le signe « tête penchée sur main jointes » : que les défunts dorment bien ! Devant chacune des stèles, on fait un petit feu pour y brûler les papiers jaunes, et planter les bâtons d’encens se consumant. On fait éclater les pétards.
On me demande de prendre en photo tous les gens de la famille réunis devant les stèles : je suis promu reporter officiel ! L’ordonnateur me tire par la manche et me dit chi fan ( 吃饭 ), ce qui veut dire qu’il me demande de venir partager le repas des obsèques !
On descend vers ce que je croyais être un village de vacances, et je me rends aussitôt compte de ma méprise : il s’agit de leur village, rénové et urbanisé par les soins de la municipalité !! On m’installe avec les anciens dans une pièce à côté d’un immense poêle en fonte bien chaud et on me verse du thé vert. Et je deviens l’attraction : c’est le défilé des gens qui veulent voir ce type venu d’une autre planète ! Parmi elles, une jeune fille qui sait trois mots d’anglais : elle me demande mon nom, d’où je viens. Le mot Fa guo (Français) fait le tour des lèvres, hochements de tête. Les femmes me présentent leurs bébés.
On passe dans la pièce d’à côté où on a installé des bols et des baguettes sur de grandes tables rondes, pièce qui doit être destinée à ce genre d’assemblée car il y a un autel, des portraits de défunts. On me fait une place à côté de deux anciens. L’un d’eux commence à remplir les bols avec ce qui pourrait être de l’eau, mais… Je provoque l’hilarité de la tablée alors que je trempe mon doigt et goutte le liquide qui se révèle être de l’alcool 60° au moins ! J’arrête le bras de celui qui me sert à un niveau raisonnable, les autres, eux, ont des rations d’ « hommes » : le bol plein.
Puis les plats arrivent : des plats que je ne connais pas, à base de tofu, de légumes, d’algues, de beignets de poulet (?) de lard de cochon (?), des sauces et du riz. Je goûte à tout. Il faut boire à chaque tournée. On ne peut pas utiliser son bol pour le riz, tant qu’on n’a pas vidé son alcool. L’ambiance s’échauffe. Les gens commencent à quitter la pièce sans plus de cérémonie. Je pense qu’il est temps pour moi de faire de même. Je salue tout le monde. On me sert la main. Je quitte le village un peu ému, et reprends ma route sous un soleil éclatant. Il est 15h.
… Sur les photos aériennes (Acme puisque Google est bloqué…) que j’avais consulté la veille, j’avais repéré une piste qui contournait le lac et une autre qui rejoignait la route nationale. Or, à la sortie de ce village, je tombe sur une large avenue déserte à 2×2 voies, lampadaires et arbres récemment plantés ! À perte de vue et en rase campagne ! Je fais une paire de kilomètres sur cette avenue ubuesque mais sans autre intérêt que son originalité. Je vois arriver un bus à contre sens, direction Weining : c’est le bus N° 3+1 (ne discutons pas ici de la numérotation des bus en Chine…).
Arrivé au centre-ville de Weining, j’erre pendant une petite heure dans les petites rues de la « vieille ville », découvre un autre marché, une multitude de petits magasins, et sur la grande artère, des gens dépenaillés qui prédisent l’avenir à des gens aussi dépenaillés, installés sur les marches de la grosse et riche banque ICBC (qui a des problèmes de spéculations en ce moment…). Et trouve, dans un magasin, une bière soi-disant belge !!
Je retourne à l’hôtel vers 17h, pressé de fossiliser par écrit cette riche journée.
* interprétation perso a posteriori de cette cérémonie : les deux hommes sont les fils du défunt, et il pourrait s’agir de la transmission symbolique des biens du défunt et de la bonne fortune qu’ils en feront.