11/02/2014

Aujourd’hui, je ne compte pas rester à Guiyang. Ce matin, je reprends le train pour Kaili 凯里 d’où je compte me poser et rayonner pendant plusieurs jours. Dans la gare ultra moderne de Guiyang, les contrôles sont dignes d’un aéroport international, mais ça prend moins de temps qu’hier car il y a plus de guichets.

Je prends le T88, un Guiyang – Pékin, train couchettes express (tarif en conséquence : 88Y pour 188 km). C’est un train tout neuf, avec des compartiments de six couchettes fixes. On peut aussi s’asseoir sur des strapontins dans le couloir. Petite musique douce. La population de ce train est complètement différente de celle de la veille : classe moyenne qui rentre à Pékin après les fêtes en famille.

Une fois le train parti, le responsable du wagon passe échanger les billets de couchette par des contremarques : c’est lui qui est chargé de réveiller les gens à l’approche de leur destination. Un policier passe pour scanner les cartes d’identité des passagers…

Après quelques kilomètres, les gens s’endorment… Paysage de montagne, beaucoup de tunnels.

Arrivée à Kaili vers 11h30. Il fait légèrement plus clément : 4° ! Hier, j’ai consulté la météo : la vague de froid va durer encore une petite semaine. Bus N°1 pour le centre-ville. Le trajet me fait découvrir une ville animée, aérée, entretenue : tout le contraire de Weining !

L’hotel New Mill Inns

J’ai une adresse d’hôtel, confiée par un internaute de Voyageforum. Je trouve sans trop de problèmes l’hotel New Mill Inns 新磨坊连锁酒店, dans une ruelle qui donne sur Yingpan (营盘) donglu (东路). La chambre 3,5×5 est à 80Y, tout confort et avec le chauffage ! L’aubaine !

Yingpan donglu

Je m’installe et vais au CITS, l’office du tourisme, qui est deux pas. J’ai un peu de mal à trouver car il est un peu caché et ne paie pas de mine… Je suis accueilli par un homme (M. Billy Zhang) vraiment super : il parle un parfait anglais (et quelques mots de français) et se met en quatre pour répondre à mes demandes : possibilité de randos, calendrier des festivals, carte détaillée de la région, mise en écriture chinoise de quelques phrases à utiliser dans les randos. Bref, j’ai mes prochains jours de programmés !

Chantier d’autoroute

Et il me dit : cet après-midi se déroule un festival lusheng芦笙会à Dazhong 大中à une douzaine de kilomètres à l’ouest de Kaili et j’ai encore le temps d’y assister. Je cours à la nouvelle station des bus locaux et saute dans le premier bus en direction de Zhouxi 舟溪 . Le bus traverse les faubourgs de Kaili qui n’échappe pas aux ravages de la constructivite : tours géantes, avenues à 3×3 voies, etc… Succède un paysage de montagnes crevées elles aussi par des travaux d’autoroute. Arrivé dans un village bouleversé par les travaux de voirie et routiers (un énorme viaduc autoroutier est en construction juste au-dessus du village…), le conducteur du bus m’indique la petite ruelle qui conduit à la manifestation. Et je suis le flot des gens qui prennent aussi cette ruelle…

Les gens descendent la petite ruelle ; ils sont « endimanchés », et certaines filles portent un beau costume de fête. De loin dans le brouhaha, parviennent des musiques aigrelettes. La ruelle débouche sur une placette où sont installés de multiples vendeurs de nourriture, de jouets, de bibelots. La foule a du mal à circuler. Et bientôt on découvre un large espace, composé de plusieurs terrains de basket, où se déroule un spectacle surprenant.

Une vingtaine de larges cercles composés de danseuses en costume de fête, aux mille décors d’argent, trottinant à la queue leu leu autour d’une paire de musiciens, une musique lancinante et acérée, et la foule qui regarde, attentive mais bruyante !

Une vingtaine de larges cercles composés de danseuses en costume de fête, aux mille décors d’argent, trottinant à la queue leu leu autour d’une paire de musiciens, une musique lancinante et acérée, et la foule qui regarde, attentive mais bruyante !

Bon, c’est très surprenant à voir, mais c’est encore plus compliqué à raconter ! Alors, dans l’ordre :

Le lusheng芦笙est le nom donné à un instrument de musique à vent fabriqué en bambou et qui peut ressembler à une géante flûte de pan : un tuyau par note, mais, différence : un unique tuyau muni d’une anche pour souffler. Et les tuyaux sont beaucoup plus grands (un mètre). Les sons sont différents des nôtres car ils appartiennent à la gamme pentatonique, familière à l’Asie d’Extrême Orient. On peut moduler les sons en orientant l’instrument de diverses façons pendant le souffle. Il y a deux types de lusheng à cette fête : les lusheng aux sons aigus des groupes de danse, et des lusheng au son très grave et dont les tuyaux atteignent quatre mètres ! Ces derniers passent de groupe en groupe selon la phase de la danse en cours.

Les musiciens, presque toujours des garçons, font eux-mêmes partie de la chorégraphie dans la mesure où c’est leur façon d’orienter leur instrument en marchant et en tournoyant que se fera le rythme donné à la musique, décidant ainsi du rythme de la danse.

Ainsi se forme pour chaque groupe, deux cercles concentriques : à l’intérieur les musiciens qui mènent la danse, et à l’extérieur les danseuses qui marquent le rythme par de petits pas. La ronde comporte plusieurs phases : au début de la ronde (qui s’effectue dans le sens antihoraire), le rythme est lent et on marque deux pas en avant, un en arrière. La musique s’accélère un peu, le nombre de pas augmente avant une volte, on repart en arrière, une nouvelle volte, etc…, et enfin avec un rythme plus accéléré, le nombre de pas augmente et s’accompagne de gestes des bras comme pour accueillir quelqu’un. Pendant cette ronde, les filles restent le corps rigide, la tête toujours dans l’axe du corps, le regard impassible : pas de sourires, pas de soupirs.

L’ordre des filles dans la ronde est important : les grandes initient la ronde, et derrière, les autres sont par ordre de taille. Les plus petites filles savent tout juste marcher, et sont parfois perdues dans les tournicotis.

Les hommes sont habillés comme à la ville. Ce sont les costumes des filles qui donnent cet éclat à cette fête. Les justaucorps sont en velours noirs, brodés de motifs floraux aux couleurs vives, et sont complétés par de larges tabliers brodés eux aussi. Collants noirs, chaussettes claires et des pantoufles de feutre, vert, rose, …couleurs bien criardes. Et les parures !!! De fines plaques d’argent découpées pour former la parure du chignon (parfois décorée d’un paon), des boutons d’argent cousus sur le justaucorps, des colliers massifs, et des grelots en argent qui sonnent à chaque pas. Les filles les plus âgées ont les parures de chignon les plus grandes, les jeunes filles se contentant d’un bandeau en argent… Et bien sûr, un maquillage étudié soulignant yeux et lèvres.

Avant et pendant la danse, les mères et les grand-mères veillent : enfiler le costume et la parure, effacer les faux plis, ajuster le chignon, les derniers conseils, et pendant la danse, les anciennes apprécient la tenue de leur progéniture, probablement très fières d’elle ! Les anciennes ont elles-aussi mis leur chignon en état de fête : tenu au-dessus de la nuque par un gros peigne, les longs cheveux noués dans une forme caractéristique, laqués et parfois décorés de fleurs artificielles.

Les groupes de danse tournoient à petits pas de façon semble-t-il interminable. La séquence peut durer une demi-heure ! Un petit groupe d’hommes passe de groupe en groupe et semble leur donner une appréciation (?) sur une petite pancarte.

Et pendant tout ce spectacle, les gens, serrés comme des harengs, regardent, commentent, montrent du doigt, prennent des photos avec les mobiles (surtout les jeunes garçons…).

Je qualifie cette scène de spectacle, car pour moi, passif et presque voyeur, il y a la distance de l’étrangeté et de la nouveauté. Mais ce n’est pas un spectacle : les gens qui sont là ont chacun un rôle qui a son importance dans la vie sociale de ce groupe ethnique que sont les Miao. La fête du lusheng est le moment où garçons et filles à marier se rencontrent. C’est le moment où les mères vérifient la « bonne » éducation qu’elles ont données à leur filles, c’est le moment où les garçons, musiciens, et, plus nombreux, spectateurs, viennent découvrir les premières émotions ! Chaque village des alentours envoie à cette fête ses filles à marier, et les plus jeunes dès trois ans suivent leurs aînées dans la danse et apprennent le rythme des petits pas, pour plus tard… Les sacs qui contiennent costumes et parures sont parfois entassés au milieu du cercle de danse, comme les sacs des joueurs de foot dans les parcs. Ça tient des kermesses, de nos fêtes des écoles, et des « escolas de samba »…

Les Miao ont dans leur histoire été confrontés à des luttes contre les Hans majoritaires, culturellement dominants, et qui convoitaient leurs terres. Dans ce milieu hostile, langue, costumes et coutumes étaient importants à préserver et à transmettre. Et s’exposer haut en couleur et parés des plus beaux bijoux fût, et est toujours, une de leurs façons de survivre. Un peu comme les Balinais, hindouistes, dans une mer musulmane.

Je rentre sur Kaili à la nuit tombante, trouve des bricoles (des tripes en sauce!) que j’emporte pour manger à l’hôtel, puisque j’ai tant de choses à raconter sur le blog !!