14/02/2014
Quelle journée !
Ce matin, j’avais prévu d’aller au festival lusheng de Baiyan. Je vais donc à la gare routière des bus locaux. Mais là, personne ne connaît ce bled. Hésitations… je décide alors d’aller voir aux bus longues distances. En cours de route, je tombe sur les deux routards, un Gallois et un Français, que je venais de rencontrer à l’office de l’hôtel. Je leur explique ma déconvenue ; ils me proposent de venir avec eux au festival qui a lieu à Qinggang, un village qui se trouve à 20km au SO de Kaili.
Nous faisons alors route commune. Ce sont les premiers touristes occidentaux vus et rencontrés depuis le début de mon périple ! R, le Gallois, qui est un fana de photos et parle bien le chinois, rentre demain dans son pays, et H, le Français, est amoureux de cette région et il y revient chaque année. Nous faisons connaissance dans le bus qui nous amène à Zhouxi舟溪 , puis dans le minibus qui nous amène à Qinggang. C’est bien sûr R qui prend les choses en main…
J’apprends que ce n’est pas par hasard que R vient dans ce trou perdu dans les montagnes, mais c’est parce que ce soir, il est invité par un gars du coin qui veut fêter avec lui son récent mariage et participer à une fête qui a lieu à Zhouxi. Programme chargé donc…
À Qinggang, les lieux de la fête sont répartis sur différents endroits séparés de ce village traditionnel accroché à flanc de montagne : il y a un concours de basket sur la place de l’école, un concours de chants traditionnels devant le commissariat de police, un combat de buffles dans un champ et la fameuse fête de lusheng sur une belle place dédiée à cela. Quand on arrive, la fête a déjà commencé. On décide de se séparer, et on se donne rendez-vous vers cinq heures.
Je me promène dans les ruelles de ce village miao aux maisons en bois, de construction traditionnelle : les gens que je rencontre me souhaitent le bonjour (nihao), avec un large sourire. Dans les maisons s’échappent des rires des femmes qui se préparent pour la fête. Leur plus gros travail : le peignage des cheveux et la mise en place du chignon ! Je prends un petit sentier tout en haut du village et me promène dans les terrasses qui le surplombent. Le sommet des montagnes est couvert de givre et les quelques terrasses qui ont été mises en eau sont gelées.
En contrebas, dans le champ où a lieu le combat de buffles, la foule des hommes apprécie les assauts des bêtes par des cris. De la place de danse, s’élèvent les musiques stridentes des lusheng et les résonances sourdes d’un gros tambour en bronze. Du terrain de basket, ce sont les bons coups qui provoquent des clameurs d’encouragement ; le concours de chant a du mal à se faire une place dans cette cacophonie…
Je redescends au village, fais un tour au terrain de combat des buffles. Dans les ruelles, les propriétaires prennent soin de ne pas se faire croiser les buffles qui vont au combat avec ceux qui en reviennent, reconnaissables car ensanglantés, et l’écume aux naseaux…
Si le concours de lutte de buffles attire la majorité des villageois, on ne peut pas en dire autant pour le concours de chant : il n’y a personne pour écouter ces femmes qui chantent des chants traditionnels a capella.
Ce qui reste d’hommes disponibles sont au concours de basket ! Et là, mettre un point est une performance car d’une part, le ballon date de la dernière guerre, et d’autre part, les potences qui tiennent les paniers se balancent ce qui rend les lancers encore plus hasardeux, et le point bien mérité !
La vaste esplanade de danse est occupée par une dizaine de groupes en cercle, représentant autant de villages. Et, avec constance et rigueur, s’accomplissent les rondes des petits pas par les jeunes filles en costume d’argent et de tissus colorés. Et, nouveauté pour moi : au centre, évolue, toujours à petits pas et dans un large cercle autour du lourd tambour accroché sur une potence fabriquée à la va-vite, une centaine de femmes – les femmes mariées – elles aussi habillées en costume de fête, mais sans les coiffes en argent réservées aux filles à marier. Elles se tiennent deux par deux par la main, et trottinent au rythme donné par le gros tambour, tantôt en avant, tantôt à reculons. Pas de lusheng pour elles ! Ce tambour est un genre de grosse marmite en bronze : c’est l’instrument de musique sacré : il fait partie de ces symboles qui ont traversés les ères et qui fondent l’identité des peuples de cette région. Les tambours de bronze les plus anciens découverts datent d’un millénaire avant JC, et sa zone de répartition (sous des formes variées), va du Yang Tsé en Chine jusqu’en Indonésie ! Ressortir le tambour et le faire sonner est signe de ralliement de la communauté du village.
Et la fête ne fait que commencer ! Venant des villages alentour, à pied ou en mini van, les femmes viennent rejoindre pour les jeunes, les cercles de danse au lusheng, et pour les autres le groupe central, qui en soirée atteindra au moins deux cents femmes ! Ce régiment de femmes, marchant au pas cadencé par le tambour, est impressionnant par sa rigueur dans le respect du rythme et des petites variations des gestes et des postures. Mieux que la Horse Guard !
Je passe l’après-midi à évoluer parmi ces différentes activités festives tumultueuses, et en profite aussi pour me réchauffer dans un des nombreux stands de nourriture installés dans les ruelles. Je choisis une soupe de larges nouilles en montrant celle de mon voisin. La dame me prépare ma soupe en me montrant à chaque fois les ingrédients dans les soucoupes qui sont devant elle, et qu’elle ajoute dans mon bol à mon hochement de tête : ciboule, sel, soja, cacahuètes, hachis de viande, pâte de piment. Pour ce dernier, j’aurai dû dire non, car pour le coup, la soupe est vraiment pimentée…
En fin d’après-midi, des prix sont remis aux différentes équipes de danse : une serviette pour chaque membre du village gagnant !
Les trois longs-nez que nous sommes se retrouvent après la distribution des prix. C’est la cohue dans la rue principale du village : les gens partent à l’assaut de leur véhicule ou des mini vans. Dans l’embouteillage, on trouve tout de même de quoi revenir sur Zhouxi, où on doit retrouver le copain de R.
Zhouxi est aussi en fête : on est accueilli par des milliers de pétards, et des petits feux d’artifice. Ce gros bourg est situé dans un rétrécissement de la vallée et est entouré de falaises, ce qui amplifie les pétarades continues. On retrouve Tiger et sa femme sur le pont central. Qui est Tiger ? C’est le copain de R. Il tient son nom de son grand père qui aurait tué le dernier tigre qui terrorisait la région… T et R ont fraternisé il y a quatre ans lors d’un précédent « lusheng dance », et ont gardé le contact depuis. Tiger travaillait chez Valéo. Mais depuis, il a trouvé du côté de Guangzhou (Canton) un meilleur emploi dans une boîte hollandaise qui fabrique des frigos pour conserver les bouteilles de vin. Il parle l’anglais, mais j’ai des difficultés à le comprendre car son accent est terrible. R nous reformule ses propos.
Tiger et sa femme (une jeune fille discrète) nous amènent à leur maison par des petits chemins hasardeux, car il fait déjà nuit et la pente est raide. Sa maison, il vient de la faire construire et il a voulu qu’elle soit traditionnelle : en bois et sans le confort, sauf l’électricité. Sa mère, sa sœur avec son bébé et une voisine nous accueillent joyeusement. Un repas est en train d’être préparé. On offre à la grand-mère un petit cadeau (du thé) qu’on a acheté au bourg et on visite la maison. Une belle terrasse domine le bourg qui n’arrête pas de pétarader et d’où s’échappe quelques fusées d’artifice.
D’ailleurs Tiger déroule sur la terrasse deux gros rouleaux de pétards et une grosse boite de feux d’artifice qu’il ne tarde pas à allumer : oreilles explosées !!

Le repas se déroule dans la chambre centrale où est prévu d’y placer l’autel des ancêtres. La grande porte à double battant reste grande ouverte, et on est en plein courant d’air. H a les pieds gelés ! On nous amène un brûlot rempli de charbon de bois, ce qui fait qu’on est transformés en omelette norvégienne : brûlés d’un côté, glacés de l’autre ! On commence par le toast de début (un bol rempli d’alcool) et qui accompagne la pensée aux ancêtres : Tiger se prosterne trois fois en direction de l’emplacement du futur autel. On entrechoque les bols. R porte mon attention sur le fait suivant : lorsqu’on entrechoque les bols, mettre le bord de son bol sous le bord de l’autre est une marque importante de respect ! Dans l’ordre hiérarchique descendant, ça donne la grand-mère, les invités, le mari, sa femme, sa sœur et enfin les deux voisines qui se sont successivement invitées au cours du repas…

La table ronde est remplie de victuailles : soupe de légumes, canard rôti, porc aux piments verts, poulet au gingembre, bœuf bouilli, cacahuètes, sauces épicées. On porte des toasts et la grand-mère tente de nous resservir de l’alcool qu’elle distribue à l’aide d’une théière en alu ! Il y a tout de même du jus d’orange pour les abstinents… On rigole bien ; et la grand-mère qui a les pommettes bien rouges, et qui n’est pas la dernière à se resservir de la théière, entame un chant, de ceux qu’on entendait au concours du village. Le son de sa voix est clair et harmonieux. Tiger n’a pas su nous expliquer le sens de cette chanson aux intonations tristes…
Bien sûr, on nous sollicite ! Embarras ! R chante « Yesterday », il est applaudi ! H ne connaît que la Marseillaise, mais s’abstient, et quant à moi, j’offre une prestation inédite en chantant le refrain de la Java bleue, celle qui ensorcelle, etc… On est tous applaudis, et c’est l’occasion d’un nouveau toast !!
Puis vers 21h on redescend vers le bourg où ça n’a pas arrêté de pétarader. Le chemin est plus délicat à descendre qu’à monter et pas seulement à cause de la pente…
Dans ce bourg, il y a une large place centrale, et il s’y déroule un important rassemblement autour de grands feux de bois : encore des danses du lusheng et des petits pas. La télé est là, et à peine arrivés, le cameraman et l’intervieweuse se précipite sur nous ! R fait face et répond en chinois approximatif sur les raisons de notre présence dans ce coin reculé de Chine. Moi aussi, j’ai droit à la même question qu’on me répète en anglais…
Vers dix heures et demie, la fête se disloque. Un type qui veut réanimer le feu, y jette des cartons usagés qui contenaient les feux d’artifice, et, comme on pouvait s’y attendre, il restait un feu intact dans l’un d’eux : le feu s’est alors transformé en bombe d’artifice, ce qui a accéléré la débandade !
On évoque avec Tiger, la question du retour sur Kaili. Mais il nous dit de ne pas nous inquiéter, qu’il s’en occupe, et qu’il va trouver une voiture pour nous ramener ; d’ailleurs son copain nous attend dans un bouiboui du coin.

Et là, on tombe dans un piège à la chinoise !
On est accueilli par une tablée de gens que seul Tiger connaît et qui a déjà à son actif quelques cartons de bière et de « théières »… Avant rentrer sur Kaili, il faut porter des toasts et grignoter des brochettes de poulet et de porc : c’est plus poli, nous affirme Tiger. H qui est abstinent en alcool et en viande rouge est un peu rechignant, mais R, notre gallois (qui m’a fait la confidence que Toulouse a une bonne équipe de rugby) s’est laissé entraîner dans une consommation de « thé » et de bière telle, qu’il a fini par s’endormir, malgré le brouhaha et son rôle de traducteur officiel de notre équipe de routards…. Quant à H et moi-même, on n’en menait pas large car on voyait que celui qu’on nous avait présenté comme notre chauffeur, ne lésinait pas non plus sur les tournées.
Finalement, vers minuit, on a décroché, Tiger nous amenant vers le mini van conduit par un type qui ne faisait pas partie de notre plan foireux. Ouf ! On est rentré à Kaili, serrés comme des harengs car il y avait d’autres passagers, R beuglant pendant tout le trajet, sur la route pleine de creux et de bosses !!
On nous dépose à l’hôtel vers une heure du matin !
C’est donc au petit matin que je rédige cette page, les cheveux un peu douloureux…