09/02/12

Réveil très tôt (5h) pour pouvoir attraper le bus pour Alexandrie. La gare routière (Mahattat otobis) est à trois kilomètres du centre, et il faut prendre un taxi à cette heure matinale (3 EGP). Elle est perdue dans la zone industrielle, principalement  dédiée aux activités portuaires. Grandes grues qui tournoient sous des feux de projecteurs et murailles de containers empilés. Arrivé tôt à la gare routière, j’obtiens une bonne place à l’avant (25 EGP). Le jour se lève et il fait plutôt froid. La gare routière est calme, et c’est comme ça partout : pas de précipitation quand il faut monter dans le bus, chacun a sa place numérotée et il y a beaucoup de place dans la soute pour les bagages. Seul bémol : aucune destination n’est indiquée sur les bus, même en arabe, seulement des annonces inaudibles par haut-parleurs ou par un type qui avertit du départ imminent d’un bus. À chaque voyage, au moins un contrôle des tickets. Sur les routes, plutôt en bon état, pas trop de fous.

Il faut trois heures pour aller à Alexandrie. On grelotte dans le bus, il n’y a pas de chauffage. La route (nouvelle) suit le bord de mer. Cette partie du delta, à l’est d’Abu Kir, est  une zone de marécages sans végétation. Par endroit, des étangs ont été aménagés à coup de pelleteuses, et on y pratique la pisciculture. À l’ouest d’Abu Kir, les terres sont irriguées et cultivées, petits champs bien verts encadrés par des palmiers.

La gare routière d’Alexandrie est elle aussi perdue au milieu d’une zone pelée (derrière un immense Carrefour…). Une douzaine de chauffeurs de taxi sautent sur le marchepied du bus : « Mister, mister… » ! Je me faufile pour trouver à une centaine de mètres de là, la station des minibus. Je trouve le bon pour la gare ferroviaire. Il est rempli en deux minutes. Pour payer, chacun donne sa pièce (1 EGP) au voisin de devant, puis au plus proche du chauffeur, lequel démarre dès que le compte est bon.

À la gare, je réserve mon train de samedi pour Le Caire (35 EGP), dans un espani (train espagnol). Les trains français (faransaoui) s’arrêtent à toutes les gares et sont plus lents.

Derrière la gare, au sud, un immense marché occupe les rues. Même les rues où passent des tramways antiques ! Des vendeurs ont installé leurs étals à quelques centimètres des voies. Animation, bousculades et cris dans la bonne humeur. J’achète quelques fruits, des olives, des variantes et … un poisson fumé qui a l’air vraiment appétissant !

Pour rallier l’hôtel que j’avais choisi, le Triomphe, je passe devant l’Institut culturel français, logé dans un beau bâtiment : ce soir il y a un film sur la révolution égyptienne. J’inscris ça dans ma mémoire et rejoins sans aucune difficulté l’hôtel. Il est tout près de la Corniche et occupe le cinquième étage d’un bâtiment haussmannien des années prospères. Je grimpe au 5ème étage dans un authentique ascenseur art-déco avec grilles en fer forgé, portes battantes et boiseries, et parviens dans un petit hall haut de plafond, plaisamment aménagé au style des années 30. Rien n’a bougé depuis cette époque : les fauteuils, les miroirs, les tables, les bibelots, etc.  Malheureusement, la plomberie non plus… Le gars de l’accueil me fait le tour des chambres : j’en choisis une grande (40 m²…80 EGP) avec balcon d’où je vois, en face, le Cecil hôtel (celui qu’affectionnait W Churchill) et à gauche un bout de la corniche et la mer. La SdB est de l’autre côté du couloir, mais je suis le seul à en disposer !

Il est midi, j’avale mon délicieux poisson fumé et quelques olives et pars à la découverte d’Alexandrie dont j’aime déjà l’ambiance.

Dans la rue, alors que je prends quelques photos de l’hôtel, au rez de chaussée, un gars, la soixantaine, m’interpelle de sa fenêtre. On discute, il parle un parfait français. Il m’invite à visiter sa salle de sport : c’est un ancien champion de judo (plein de photos dans son bureau, lui aussi des années 30). Il a monté un club de gymnastique et il en est très fier. Il a même installé, après un voyage au Japon,  des bains de vapeur, genre de boîte en bois qu’on referme sur soi en ne laissant dépasser que la tête. « Unique en Égypte » ! Je veux bien le croire. Mais pour lui, les affaires ne s’arrangent pas avec les événements, il est pessimiste.

Je complète mon repas par un foul (plat à base de fève) chez Mohammed Ahmed, un  petit restau populaire bien sympathique.

Arrêt au Café Athinos, une vaste salle  au plafond haut soutenu par de fortes colonnes, un café comme on en connaissait jadis à Paris : serveurs à tablier blanc, café turc servi sur plateau d’argent, tables et boiseries en bois rare. En allant aux toilettes, je découvre une autre grande salle, le restaurant, donnant sur la corniche, une merveille !

Poursuite de la promenade par un parc où des contestataires sont installés près de tentes et de banderoles. Je discute un brin avec une étudiante, la seule du groupe parlant anglais. Elle espère beaucoup que l’Égypte aille vers la démocratie mais n’attend pas grand-chose pour la condition des femmes : « dans dix ou vingt ans, peut-être ». J’ai appris sur internet qu’un appel à la grève nationale a été lancé pour samedi, mais elle ne croit guère à son succès.

En continuant ma promenade à l’ouest vers la Grande Bibliothèque, je suis abordé par un type qui me dit qu’il m’a vu discuter et m’explique que ces gens-là sont des fous ; par contre – il me montre  la grande affiche de la permanence des Frères Musulmans juste à côté – ceux-là, ce sont les vrais, les bons ! Décidément avec de tels clivages, l’Égypte n’est pas prête de s’en sortir…

La Grande Bibliothèque est un vaste espace à l’architecture ultra moderne, qui par ce style « international » qu’on retrouve maintenant partout, se prive d’une touche locale originale. Néanmoins, la bibliothèque semble fréquentée par beaucoup de monde. Une petite statue moderne d’Alexandre le Grand rappelle le fondateur de la ville.

Retour vers l’Ouest par la Corniche. L’anse est agitée par une Méditerranée grise et houleuse. Les vagues se brisent sur de gros rochers. Des enfants courent sur le parapet, les promeneurs se prélassent au soleil, des calèches se mélangent aux voitures. Une demi-douzaine de tanks remonte l’avenue, militaires droits comme des i, en tenue de parade : l’armée se montre en cette veille de grève générale. Je parcours toute la Corniche  jusqu’au fort, qui ferme ses portes alors qu’il est à peine 16h. Détour par le marché aux poissons puis par les chantiers navals du port occidental où quelques ouvriers poncent des coques de futurs yachts. Retour par les petites rues du quartier populaire Anfushi. Dans une longue rue piétonne transformée en marché, je achète un gros poisson (10 EGP) et me le fais cuire (1 EGP) dans la boutique d’à côté !

Arrivé près de l’hôtel, j’achète une bouteille de vin rouge égyptien (60 EGP) dans une des rares boutiques spécialisées ; le vendeur me fait l’article « je l’ai goûté, c’est le meilleur ». Comme je lui demande comment il s’arrange avec la religion, il lève un doigt vers le ciel et dit «  c’est le problème de Dieu ».

 J’ai juste le temps de grignoter mon poisson et de goûter à ce vin, ma foi, très bon, comme le promettait le vendeur (il l’a débouché à l’aide d’une vis-piton). 

À l’Institut français, il y a foule pour voir le film 18 jours, sur la révolution égyptienne. C’est un réalisateur égyptien qui la raconte en collant dix saynètes, représentant chacune une tranche de vie expliquant comment les différentes couches de la population égyptienne ont vécu cette période de dix-huit jours entre le début des manifestations et la chute de Moubarak. Un film assez prenant, émouvant, dur et drôle  selon les fictions (heureusement sous-titré en français). Dommage qu’on n’ait pas pu voir la fin du film, la technique ayant lâché (restriction des budgets…). La salle du petit théâtre était comble (400 personnes ?), très majoritairement égyptienne dont la moitié de femmes. Les gens riaient et applaudissaient aux bons moments, soupiraient aux moments dramatiques.

 Retour à l’hôtel par les rues encore bien animées à cette heure tardive.