09/02/2011

À l’arrivée du bus 550B, les gens se précipitent dessus avant même qu’il ne s’arrête, on court avec les sacs et on réussit tout de même à s’encastrer au fond. Comme le chauffeur n’a pas une conduite spécialement douce et sans rapport avec l’état de la route plutôt désastreux, on saute plusieurs fois au plafond. Le trajet en bus dure cinq heures.

On traverse le pays des noix de cajou (des vendeurs à la sauvette en proposent aux gares routières).

Hotel Saradharam grande chambre 900 INR petits dej inc – on doit faire changer les draps.

Le temple de  Nataraja est très populaire bien que datant du 12ème siècle. En attendant l’ouverture des portes à 16 heures, on flâne dans les rues autour du temple, ce qui fait tout de même parcourir un carré d’un kilomètre de côté ! Et flâner est un bien grand mot, car une fois évités les bouses de vaches (sacrées !), les trous, les tas de sable et autres obstacles, on manque de se faire encorner par les vaches, bousculer par les vélos, renverser par les motos, écraser par les rickshaws, aplatir par les bus ou les camions !

À 16h on est devant une des quatre entrées du temple, nos chaussures à la main comme tout le monde. Chaque portail d’entrée est une immense tour pyramidale pointue (gopuram) décorée d’un milliard de personnages mythiques peints de couleurs vives. Au centre d’une vaste cour, se tient un sanctuaire (carré). Avant d’y entrer on en fait le tour jusqu’à un immense bassin dans lequel les gens viennent faire leurs ablutions. Ils descendent les gradins jusqu’à l’eau pour y tremper les pieds, prendre un peu d’eau au creux de la main et s’asperger la tête. Un vieil homme quitte ses vêtements et s’arrose tout le corps à l’aide d’un pichet. Une femme assise sur les marches donne du riz soufflé à manger aux poissons.

Le sanctuaire est un vaste hall obscur soutenu par d’immenses colonnes ouvragées. Les gens passent le portail, embrassent la fleur de lotus gravée dans le seuil, puis attendent devant les portes du Saint des Saints (le dernier carré, le plus central (Garba griha))  qui ouvrent à 17 heures, pour aller y faire leur pooja (un genre de communion/bénédiction). Tout autour du Saint des Saints, il y a des petites « chapelles » annexes tenues par des prêtres qui attendent le dévot passant à bénir.

Cet endroit sent l’odeur du beurre rance : il sert à enduire les statues vénérées et à être brûlé dans des coupelles.

La queue se forme devant l’image la plus sacrée du temple, une idole cachée comme au fond d’une grotte sombre : il s’agit d’un Shiva dansant qui ressemble étrangement aux vierges noires célébrées sous nos latitudes. Les gens, le front barré de poudre blanche, marmonnent des prières, certains chantent, et tous se prosternent : les mains ouvertes au niveau des épaules, les mains jointes devant le visage puis au-dessus de la tête. Ils passent ensuite devant les trois prêtres qui sont accroupis sur une petite terrasse au niveau de leur tête ; ces derniers sont torse nu, vêtus d’un dothi (pagne en coton blanc) et les cheveux en chignon au-dessus du crâne. Ils bénissent les gens un à un moyennant quelques roupies : un peu de poudre dans le creux de la main et parfois une enveloppe si le don est gros. Il y a là toutes sortes de personnes : jeunes, vieux, hommes, femmes (avec parfois un bébé dans les bras), toutes classes confondues. Les gens parcourent avec assiduité dans ces couloirs obscurs chichement éclairés par la lumière vacillante des bougies au beurre, le circuit de la bénédiction, tous en état de transe, voire d’hypnose.

Noyés dans cette foule rassemblée pour partager la même exaltation, nous sommes plutôt remués devant tant de dévotion. Ces scènes nous paraissent lunaires : nous avons été élevé sans pratique religieuse, et à distance des dogmes et chapelles de tous ordres.  Et de fait en France, on est entouré d’un peuple majoritairement à l’unisson, laissant à une infime minorité ce genre de ferveur religieuse. Ici, c’est l’immense majorité de la population qui s’adonne avec intensité à ces pratiques : l’existence de ces gens est régulée par les rites religieux, célébrés dans ces temples mais aussi quotidiennement dans leur maison ou dans la cité à toutes heures de la journée, les autres préoccupations semblant passer au deuxième plan ; ces pratiques et pèlerinages s’imposent comme des étapes importantes et régulières dans le déroulement de la vie.

Le soir, en rentrant du cyber café, nous rencontrons une procession : des musiciens, des tambours-danseurs, des familles, des jeunes qui lancent des pétards, un groupe électrogène qui éclaire violemment un attelage de deux chevaux et un char richement décoré, et, trônant dedans, un couple qui va se marier. Fort contraste entre l’animation bruyante tout autour d’eux et leur manque évident d’enthousiasme…